Human Matos

René Taesch

Lunéville – 2014

« Je ne vais pas être très long. Je vais être sincère.
Portrait de groupe après démolition.
Les 29 images que je viens de voir sont épatantes, émouvantes, tristes, belles, élégantes, justes. C’est au-delà de la photo. C’est de la peinture. C’est de l’art suave. C’est de l’art brut. C’est un travail d’agencement. Des tas de types ont déjà tenté le coup des superpositions ou des collages. Généralement, ces tentatives sont vouées à l’échec. Au rien. Parce que c’est maladroit, facile ou mal fichu. Parce que l’auteur ne sachant quoi dire a voulu trop en dire. Alors, il colle. Il juxtapose. Il prend des poses. S’il est bon technicien, la superposition peut faire illusion. Ça peut être joli. Le travail de René n’a rien à voir avec ce genre d’expérience. Ni avec la joliesse. Le travail de René, c’est son regard. Et ses doigts de fée. Ceux qui savent taper au bon moment. Mais pas que. Le travail de René, du René d’aujourd’hui, c’est la bonne image. Le bon feeling. La meilleure position possible. Celle du tireur couché. Le tireur de papier. Mais ce n’est pas que ça. Ici avec ce matériel humain, ce « human matos » comme nous avions coutume à le nommer quand nous arpentions ensemble les rues de Metz, René a passé un cap. Il est habité par un esprit frappeur. Il a trouvé la bonne distance. La bonne couleur. La bonne histoire. Chacune de ses images raconte une histoire. Une histoire complexe, lourde, mortelle. Un univers habité.
Ce travail est un travail sur le temps et sur la mémoire. René remonte à la surface. René connaît les lieux, tous ces lieux. Il y a traîné ses godasses. Il y a bu des coups, fumé des joints. Il sait exactement les emplacements et les choses. Qui se souvient qu’avant le musée, il y avait là une baraque à frite ? René fait revivre des fantômes. Ces fantômes reviennent d’entre les morts et nous sourient. Ils ont les mains calleuses, le crâne abîmé, le regard délavé. Ils sentent la vinasse et la Goldo.
T’as pas une goldo, mec ?
On entend presque leurs voix. La musique d’un accordéon. La vanne un peu grasse d’un bidasse. Dans ce temps-là mec, le service militaire était obligatoire. Le bruit des chaînes à la mine. Les mots gravés sur les vieux panneaux. La rouille. Les pas perdus. Les nuits sans sommeil. Les corps écrasés sur les bancs, sur le sol. Les corps nus et blancs des mineurs. Leurs rires perdus. Et surtout ces regards. Qui se souvient que l’un d’eux s’appelait Depardieu ? L’autre Bronson ?
Les images que je préfère, qui me touchent le plus sont celles qui me regardent. Le gros mineur à moustache, le joueur d’accordéon. Le regard de ces hommes que René a su faire remonter de si loin. Avec tellement de persévérance. Tellement d’humanité. Les images de René viennent de loin, de très loin. Si elles sont si justes et si belles, c’est parce que René les connaît bien ces lieux. Ces gens. La brasserie Amos, les alentours de la gare, les anciennes casernes. Là où poussent aujourd’hui un musée ultra moderne, des magasins, des routes et des quais de gare. Avec René et ses images, on entre les yeux grands ouverts dans une sorte de cinquième dimension. On plane, on vole, on survole. On rêve.
On se réconcilie avec un passé lointain.
On vient de là.
Nous serons nous aussi un jour des fantômes.
Denis Robert, le 27 novembre 2013